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DES DEMOISELLES ENCEINTES PAR MÉGARDE...






    " L'enfant mourut heureusement... "
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    Impossible, dira-t-on. Une jeune fille de bonne famille, en ce temps-là, était trop surveillée pour qu'une telle aventure pût arriver, et elle ne se serait jamais remise d'un tel déshonneur. Mais à la fin de 1654, la mère de Mlle de La Vergne est toute occupée à sortir son nouveau mari, René Renaud de Sévigné, des embarras où il s'est mis en aidant son allié, le cardinal de Retz, emprisonné par le roi à la fin de la Fronde, à s'évader du château de Nantes. Les enfants s'empressent volontiers d'ajouter leurs sottises aux difficultés des parents. Et les exemples ne manquent pas, dans les commérages du temps, de mariages arrangés pour sauver la réputation de demoiselles devenues grosses par mégarde.

    La marquise de Sévigné, nièce par alliance du René Renaud auquel s'était remariée la mère de Marie-Madeleine de La Vergne, s'amuse beaucoup en racontant à sa fille, un jour de juin 1671, l'histoire d'une femme dont M*** " avait un peu avancé les affaires " et qu'il fallut marier d'urgence à un " Monsieur de C* * * " qui se trouva nanti d'un héritier au bout de cinq mois. " La question fut de faire passer pour une mauvaise couche la meilleure qui fut jamais, et un enfant qui se portait à merveille pour un petit enfant mort. Ce fut une habileté qui coûta de grands soins à ceux qui s'en mêlèrent, et qui ferait fort bien une histoire de roman. " La dame en question eut de la chance. " L'enfant mourut, heureusement. "

    Les commérages des contemporains

    La précipitation du mariage de Mlle de La Vergne ne passa pas inaperçue des contemporains. Choqué de cette conclusion faite " dès Limoges ", Tallemant rappelle dans ses Historiettes le petit scandale provoqué par Scarron dans sa Gazette en vers burlesques. " Il s'avisa de mettre qu'un homme sans nom était arrivé le vendredi, s'était habillé à la friperie, et le samedi s'était marié ; qu'il pouvait dire, veni, vidi, vici ; mais qu'on ne savait si la victoire avait été sanglante. " Comme il venait à ce moment-là d'arriver de Bourbon, quelqu'un s'avisa de dire que " c'était La Fayette et sa maîtresse ". L'assimilation s'imposait ! Scarron s'en défendit, dans le numéro suivant de sa Gazette, en invoquant son amitié pour l'oncle du mari, la grandeur de sa famille alors qu'il avait parlé d'" un homme qui n'a point de nom ", la différence de Bourbon et de l'Auvergne. Mais il a dû brouiller les pistes.

    La rencontre des dates est frappante. Marie-Madeleine et François s'épousent le lundi 15 février, lendemain de la signature de leur contrat. La Gazette contenant le plaisant récit d'un mariage express date du mardi 16. La semaine suivante, le 23, dans le démenti qu'il insère pour couper court aux rumeurs, Scarron prétend qu'il ne sait pas le nom du véritable héros de l'aventure qu'il a racontée, ce qui aurait pourtant été le seul vrai moyen de se disculper. Le public ne le savait pas non plus, qui a facilement et spontanément identifié les épousailles un peu ridicules qu'il avait rapportées avec le mariage rapide de Mlle de La Vergne et de M. de La Fayette. La malice qui mettait en cause le pucelage de l'épousée ne le choqua pas : " L'on doute si cette victoire/ Est victoire sanglante ou non. " L'emploi de ce lieu commun gaulois est fréquent, mais il n'est pas constant. Il n'est donc jamais innocent.

    Un mariage en carême

    Il en va de même de celui que reprend le gazetier Loret, dans la Muse historique du 20 février. Il souligne la date insolite d'un mariage célébré, et donc en principe consommé, le premier lundi de carême : " La Vergne, cette demoiselle,/ A qui la qualité de belle /Convient si légitimement, /Se joignant par le sacrement /A son cher amant La Fayette, /A fini l'austère diète /Qu'en dût-elle cent fois crever /Toute fille doit observer. /Ce fut lundi qu'ils s'épousèrent /Et que leurs feux ils apaisèrent. /Ainsi cette jeune beauté /Peut dire avecque vérité /Que quand le carême commence, /Elle finit son abstinence. " Parmi les rumeurs et les interprétations dues à ce qu'avait publié Scarron, cette insistance sur la longue et nécessaire " diète " de la jeune fille ressemble à un démenti, et comme beaucoup de démentis, il donne envie de lire entre les lignes ce qu'il est chargé d'infirmer.

    Roman que tout cela ? Peut-être. Mais Mme de Sévigné emploie le mot roman pour une histoire qu'elle raporte comme vraie. Le réel et l'imaginaire se copient mutuellement. A la fin de La Comtesse de Tende, l'un des romans attribués à Mme de La Fayette, l'héroïne avoue à son mari qu'elle attend un enfant d'un autre. Par souci de sa gloire, il décide de n'en " rien laisser voir au public ". Il s'en va, la laissant seule face à ses remords. " Enfin, vers le sixième mois de sa grossesse, écrit l'auteur, son corps succomba, la fièvre continue lui prit et elle accoucha par la violence de son mal. Elle eut la consolation de voir son enfant en vie, d'être assurée qu'il ne pouvait vivre et qu'elle ne donnait pas un héritier illégitime à son mari. " Puis elle mourut.