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UNE VRAIE FAUSSE COUCHE ?






    Une union arrangée ?

    A moins qu'il ne se soit effectivement rien passé. La fièvre annoncée à Ménage était une vraie fièvre, due à l'ennui de la campagne et vite guérie par le retour à Paris. Ou bien elle était un prétexte, destiné à cacher la véritable raison du retour, une union arrangée, de Limoges et Champiré. La jeune fille y trouvait un excellent moyen de promotion sociale. Pour le nom et la noblesse, les Motier de La Fayette l'emportaient de cent coudées sur les Pioche de La Vergne. A en croire les chroniqueurs, ils avaient participé aux croisades avec Saint Louis, et leurs exploits aux côtés de Charles VII, pendant la guerre de Cent Ans, étaient incontestables. Perdu dans ses procès, François, qui avait grand besoin d'argent, avait dû se résoudre à un second mariage moins noble, mais plus riche que le premier. La mésalliance était patente, puisque, pour la mariée, on ne remontait guère au-delà d'un Jean Pioche, son grand-père, qui se disait écuyer et prenait dans les actes les titres de président et conseiller du roi.

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    A Marie-Madeleine, cette union apportait un nom, qu'il lui appartenait de remettre en crédit et en faveur. Bonne affaire pour une ambitieuse. La jalousie suffit dès lors à expliquer les goguenardises des gazetiers et leurs plaisanteries usées. En ce temps où, dans l'aristocratie, les filles sont souvent mariées à peine nubiles, on n'est plus pour eux un tendron à vingt ans passés. La nouvelle dame prit le parti d'ignorer les commentaires. Scarron voulut s'excuser. Il écrivit pour cela " une grande lettre à Ménage, qui, étourdiment, l'alla lire à Mlle de La Vergne. Et il se trouva, dit Tallemant, qu'elle n'en avait pas ouï parler ". On devine sa déconvenue. La belle alliance risquait de la rendre ridicule.

    De l'Anjou à l'Auvergne
    

    Pis encore : au lieu de la redonner à ses amis parisiens, elle la rendit de nouveau provinciale. Son mariage fut bientôt suivi de son départ pour l'Auvergne, où elle accompagna son mari, désireux de lui faire découvrir ses terres et sa gloire de gentilhomme campagnard. Elle s'y résigna, curieuse de découvrir cet autre monde et soucieuse d'accomplir son devoir. Bientôt, elle se réjouit d'être enceinte et de donner sans retard un héritier à la maison dans laquelle elle venait d'entrer. Une fausse couche mit malheureusement fin presque aussitôt à cet espoir. Elle écrivit sa déception à son amie, Mme de Sévigné. Elle espérait qu'informé par elle, Ménage saurait trouver les paroles de réconfort dont elle ressentait le besoin dans sa solitude auvergnate. Il se tut égoïstement, ou bien par ignorance : comme Mme de La Fayette le suppose avec philosophie dans sa lettre, la marquise n'a pas parlé d'elle.

    Entre les deux récits possibles, comment choisir ? Même les documents les plus sûrs sont susceptibles d'interprétations divergentes. De la vie de Mme de La Fayette, on ne connaît qu'une part, et l'on ignore souvent comment elle l'a pensée et sentie. Elle aimait s'entourer de mystère. Elle doit sa notoriété à des livres dont, sauf La Princesse de Montpensier, on ne peut affirmer en toute certitude qu'elle est l'auteur. Pour approcher la vérité, le seul moyen est de rechercher la ligne directrice assurant le maximum de cohérence à ce que nous savons d'elle. Ce n'est pas tout d'assurer que Mme de La Fayette a écrit La Princesse de Clèves, ou de remarquer que Mlle de La Vergne a pu se marier sous l'urgence. Il faut aussi que ces événements aient été préparés par les circonstances et qu'ils s'inscrivent sans heurts dans sa destinée.

    Ci-dessus, vestige d'une tour du château d'Espinasse (état actuel)