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OMNIPRÉSENTE DANS LES POÈMES DE GILLES MÉNAGE






     De l'imaginaire au réeel et inversement
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    Après comme avant son mariage, Mme de La Fayette est omniprésente dans les recueils que publie Ménage. La poésie n'est pas la vie, et il faut se garder de considérer les déclarations qu'il lui prodigue comme des confidences jaillies directement de son coeur. Malgré la double convention des genres choisis (idylles, églogues, madrigaux) et du langage adopté (fleuri, abstrait et métaphorique), ces déclarations renvoient pourtant à une histoire vécue. Elles la racontent à leur manière. Mme de La Fayette en a conscience, puisque après avoir écrit qu'elle vient de perdre le peu de beauté qu'elle avait, elle ajoute : " Tout le malheur de mon changement ira sur L'Oiseleur. Pour moi, je suis d'avis que vous le datiez de l'année passée. J'étais assez jolie en ce temps-là, et cela suffit pour être traitée de belle. " On sait la date de ce changement, dû à une grossesse en cours. C'est le 2 novembre 1657 que la comtesse annonce à son ami, comme une nouvelle, qu'elle est " changée tout autant qu'on peut l'être ". A défaut de la beauté de son visage, il devra désormais se contenter de celle de son âme.

    On peut donc prendre au sérieux, sinon au pied de la lettre, les éloges que le poète lui a prodigués, vantant son corps autant que son esprit. En novembre 1655, se plaignant vivement de son abandon épistolaire, elle déclarait fièrement : " Vous ne m'aimez plus comme vous avez fait. Vous n'avez point de bonnes raisons à en dire : je ne suis ni plus laide ni plus sotte que j'étais il y a deux ans [c'est-à-dire lors de la visite de Ménage à Champiré]. Je suis un peu plus vieille, il est vrai, mais je suis encore si riche de jeunesse que ces deux années ne m'appauvrissent guère et ne me sauraient nuire auprès de vous. " Si elle n'avait pas été sûre de son éclat, Mme de La Fayette n'aurait pas fait sonner de façon aussi triomphante, et même provocante, sa jeunesse et sa beauté.

    On regrette d'autant plus le caractère conventionnel de la plupart des descriptions de Ménage, célébrant ses belles mains, sa bouche adorable (bien que trop petite selon Costar), ses yeux étincelants, sa voix et son chant agréables. En italien, le poète se permet plus de sensualité, mais pas beaucoup plus de précision. On entrevoit une poitrine plus blanche que la neige, et le désir ou le plaisir d'un baiser dérobé. Le latin va un peu plus loin : on aperçoit le mamelon d'un sein aux formes pleines (" turgebat niveo nuda papilla sinu "). On apprend que la jeune dame était brune (" et fusci nivea crines cervice fluebant ") ; cela met en valeur la blancheur de son cou. La parfaite vertu de la belle va de soi (sinon, pourquoi la conquérir ?). Le français, le latin et l'italien s'accordent pour répéter son savoir, rare à son âge et dans son sexe, et un talent pour écrire dont on ne sait s'il est simple talent épistolaire ou talent d'écriture en général. Ils disent aussi ses dons de société : elle sait entretenir un auditoire et le charmer en jouant de l'angélique ou du luth. Mme de La Fayette est une jeune femme bien élevée, qui sait se servir des moyens de séduction appréciés à ce moment-là.

    Ci-dessus, écriture de Mme de La Fayette