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DE LA VERTU MALHEUREUSE À LA PRINCESSE DE CLÈVES






100    La résurrection du Mercure Galant.

    La Princesse de Clèves a été le premier livre français soutenu par une campagne de presse. Mme de La Fayette eut la chance d'avoir un roman prêt au moment où un journaliste, Donneau de Visé, cherchait à relancer le Mercure galant, périodique qu'il avait fondé six ans plus tôt. En mars 1672, dans le premier numéro de ce périodique, il avait annoncé son programme : faire toute sa place à l'actualité en rapportant des " particularités " introuvables ailleurs, publier des sonnets, des madrigaux et autres bagatelles à la mode, raconter des " aventures nouvelles en forme d'histoire ", brefs récits romanesques présentés comme des relations de faits véritables. Pour mener à bien l'entreprise, approuvée par le pouvoir royal, dont il fut un soutien fidèle, il s'était associé au libraire Barbin.

    Après un bon début, le journal périclite. Les numéros de 1673 paraissent avec retard. Pendant deux ans, c'est le silence. Puis la publication recommence sur un rythme ralenti. A la fin de 1677, Donneau de Visé décide de prendre un nouveau départ. Il demande et obtient un privilège plus étendu. Jusqu'à la mort de son auteur et bien au-delà, le Mercure sortira désormais régulièrement un numéro tous les mois, L'Ordinaire.

    L'aveu au mari

    En janvier 1678, dans le premier de la nouvelle série, les lecteurs découvrent une histoire étonnante, La Vertu malheureuse. Un mari veut ramener son épouse à la Cour. Elle le prie de la laisser à la campagne. Elle lui explique qu'avant de l'épouser, elle a aimé un autre homme, un marquis, auquel son père a refusé de la marier. Elle n'a pas, dit-elle, violé la fidélité conjugale. Elle se conforme à son devoir et l'aime autant qu'elle le peut. Craignant la tentation, elle préfère cependant ne pas prendre de risque. Elle ne veut pas retourner à la Cour, où elle reverrait le marquis. Le hasard fait que celui-ci se trouve derrière la cloison. Il entend la conversation. Il est fou de joie de découvrir l'amour de sa bien-aimée et la raison de ses froideurs.

    Ceux qui avaient le privilège de lire les copies manuscrites de La Princesse de Clèves, qui circulaient dans le monde au même moment, y découvraient une scène toute semblable. La jalousie a révélé à l'héroïne la force de sa passion pour Nemours. Elle décide de fuir sa présence. Elle demande à son mari la permission de se retirer à la campagne. Il la lui donne sans connaître ses raisons. Elle ira dans leur maison de Coulommiers pendant qu'il accompagnera le roi à Compiègne. Ce voyage fait, il vient la chercher. Elle refuse de revenir à la Cour. Il s'en étonne. La solitude serait-elle un moyen de le fuir ? Il l'oblige à lui avouer la cause de sa retraite. C'est, lui dit-elle, qu'elle aime involontairement un autre homme. Elle refuse d'en révéler le nom. Mais Nemours, qui croyait la princesse seule, s'était secrètement rendu à Coulommiers dans l'espérance de la voir. En découvrant que son mari est là, il s'est précipitamment caché dans un cabinet " ouvert sur un jardin de fleurs qui n'était séparé de la forêt que par des palissades ". Il a vu les deux époux s'asseoir " sous le pavillon " attenant au cabinet. Il n'a pas perdu un mot de leur conversation. Il s'y est reconnu. Dès que la voie s'est libérée, il s'est enfoncé tout heureux dans la forêt.

    Sa joie " ne fut pas longue ", car " il fit réflexion que la même chose qui lui venait d'apprendre qu'il avait touché le coeur de Mme de Clèves lui devait persuader aussi qu'il n'en recevrait jamais nulle marque et qu'il était impossible d'engager une personne qui avait recours à un remède si extraordinaire ". Rien de comparable à cet admirable revirement dans La Vertu malheureuse. Réduite à quelques lignes en raison de la brièveté de la nouvelle, la scène de l'aveu n'a ni les nuances ni l'intensité dramatique du long dialogue où les époux finissent par se trouver d'autant plus séparés qu'ils ont tenté un rapprochement impossible. L'héroïne du Mercure a aimé le marquis avant son mariage. La princesse tombe amoureuse de Nemours après avoir été unie au prince de Clèves. Dans la suite, le comportement des trois personnages n'a plus rien de commun.

    L'idée d'un aveu au mari était dans l'air. Autant qu'à celui de La Princesse de Clèves, l'aveu de La Vertu malheureuse ressemble à celui d'une nouvelle de Mme de Villedieu, publiée en 1675 dans Les Désordres de l'amour. Une femme y confiait à son mari, le marquis de Thermes, sa passion éprouvée dès l'enfance pour le baron de Bellegarde, trop pauvre pour prétendre l'épouser. Par avarice, disait-elle, son père l'avait sciemment mariée contre sa volonté à un homme plus vieux qu'elle et pour qui elle n'avait pas d'amour. Elle avait cependant défendu au baron de la revoir et scrupuleusement gardé la foi conjugale. Accablé par cet aveu, car il souhaitait le bonheur de sa femme et Bellegarde était son neveu, le vieux mari mourait bientôt, et le vrai roman commençait, histoire des malheurs de la veuve remariée avec celui qu'elle aimait.

    Ci-dessus, le haut de la page de titre du premier numéro du Mercure Galant.