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EPREUVE ET CONTRE-ÉPREUVE






    Deux conduites, un même résultat

    Rien de commun donc dans le destin des deux princesses. Nulle raison de les attribuer à un même auteur. A moins que... A moins que La Princesse de Clèves ne gagne à être regardée comme une suite de La Princesse de Montpensier. Si elle en diffère à ce point, c'est peut-être parce qu'elle dit la même chose autrement. Supposons une princesse vertueuse, mais mal conseillée et imprudente, l'amour la mène au déshonneur et à la mort. Supposons une princesse vertueuse, prudente et bien conseillée, elle n'échappera pas non plus à un amour qui ne lui causera que des tribulations, intérieures et extérieures.

    On a beau changer toutes les circonstances et prendre systématiquement dans un nouveau roman le contre-pied de ce qui se passait dans La Princesse de Montpensier, le résultat reste le même. Personne n'est à l'abri des assauts de l'amour, la toute jeune fille mal mariée qui en aime un autre depuis l'enfance, expansive et imprudente, mais aussi la jeune femme aimée, discrète et inhibée, entêtée de respectabilité. Que l'on en parle ou non, qu'on lui cède ou non, que l'on soit libre ou non, l'amour condamne au malheur celle qui en est possédée. Les deux Princesses ont beaucoup de chances d'être du même auteur parce que les immenses différences qui les séparent peuvent s'expliquer par la volonté de montrer qu'en inversant les données, on arrive au même résultat. La Princesse de Clèves est la contre-épreuve de La Princesse de Montpensier.

    Deux discours contre l'amour

    Selon la première phrase du roman, le monde de La Princesse de Montpensier est celui des désordres de la guerre civile et de l'amour qui y trouve son compte. L'héroïne n'a pas su lui imposer l'ordre de sa vertu. Tant pis pour elle. " La magnificence et la galanterie " règnent autour de Mme de Clèves à son arrivée à la cour. Sa mère, " qui avait eu tant d'application pour inspirer la vertu à sa fille ne discontinua pas de prendre les mêmes soins dans un lieu où ils étaient si nécessaires et où il y avait tant d'exemples si dangereux ". L'auteur ne condamne pas cette éducation. La dernière phrase du roman montre au contraire sa réussite. Peu importe que la vertu ait coûté cher à Mme de Clèves, puisqu'elle n'a pas de prix.

    Ces idées nous choquent. Nous avons tendance à penser au contraire que la princesse de Montpensier est une victime et que la princesse de Clèves est passée à côté du bonheur en refusant l'amour. Mais les contemporains des deux romans étaient quasi unanimes à dénoncer le caractère destructeur des passions et les mérites de la paix intérieure de ceux qui en étaient exempts ou libérés. A moins de vingt ans, quand elle avait l'âge des princesses, Mme de La Fayette écrivait dans une lettre à Ménage que l'amour était " un sentiment très incommode " et qu'elle se réjouissait quand ses amis n'en avaient point. Peu de temps après, pour réfuter l'éloge qu'en faisait le savant Corbinelli, elle rédigea sur un bout de table un " discours contre l'amour ". Les deux Princesses sont deux discours contre l'amour. Deux éloges de la vertu. Deux romans contre les romans.

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